Le Mystère de la Tour Eiffel

Plus de café… La journée allait être difficile. Encore à moitié endormie, en chemise de nuit dans sa cuisine, Elise Truelle contemplait avec désespoir son paquet vide.

Se résignant à commencer sa journée avec du thé, elle mit à chauffer l’eau et ouvrit machinalement le journal que le facteur venait de lui apporter :

« Un jeune homme retrouvé sans vie en haut de la Tour Eiffel »

En haut ? D’habitude lorsque l’on commet un suicide on se retrouve plutôt… en bas ?!

Sirotant son thé à la menthe, Elise se remit à lire l’article. Non, ce n’était pas une coquille, le jeune homme avait bien été retrouvé en haut. D’ailleurs cela n’avait pas l’air d’être un suicide.

Ce qui intriguait le plus les policiers, c’était de savoir comment quiconque avait pu s’introduire au dernier étage de la Tour Eiffel en pleine nuit.

Pourquoi avait-elle pensé au suicide ? C’est vrai que rien dans l’article ne le mentionnait : la photo, c’est la photo de ce jeune homme. Il ressemblait trait pour trait à celui que l’on avait retrouvé il y a une semaine au Pérou dans le site du Machu Picchu. Là aussi la police n’avait rien compris, le site étant fermé la nuit. Par contre elle se rappelait que l’on avait trouvé à côté de lui un instrument de musique tout simple : une flûte. Là aussi il y avait un objet : un foulard.

Y avait-il un lien entre ces deux hommes ? Très vite réveillée par toutes les questions qui lui tournaient dans la tête, elle décida avant d’appeler sa copine à la PJ de faire une recherche sur Internet.

Devant son ordinateur, thé et cigarettes à portée de main, Elise était prête à faire toutes ses recherches. Par quoi allait elle commencer ? Sur le moteur de recherche elle écrivit : « Mort mystérieuse au Machu Picchu ». Là elle tomba sur un article :

« Un jeune homme prénommé Allan MacDeen, d’origine australienne, a été retrouvé mort sur le site du Machu Picchu, pourtant protégé par des gardes, vers 6h du matin. A l’heure actuelle la police n’a toujours pas trouvé la cause du décès . Cependant une flûte aurait été déposée à côté du corps. Les empreintes relevées sur cet instrument montrent qu’une autre personne aurait été avec lui. »

Elle tapa ensuite « Mort mystérieuse à la Tour Eiffel ». Là elle faillit presque s’étouffer avec son thé, elle n’en croyait pas ses yeux : la personne retrouvée ce matin était identifiée comme s’appelant Dylan MacDeen.

C’est pas vrai ! Des frères, des cousins ? pensa-t-elle. Elle sentit comme une excitation la gagner. Il fallait qu’elle appelle Sacha, sa copine de la PJ.

 » Allo Sacha ?

– Elise ? Ah j’attendais ton coup de fil… » dit-elle avec malice. « Je suppose que tu viens de lire la Une des journaux et que la mort de ce jeune homme t’intrigue ? »
C’était devenu une habitude, presque un jeu entre elles, lorsqu’une enquête policière s’annonçait corsée, elles en débattaient pendant des heures, des nuits jusqu’à ce qu’elles puissent reconstituer ensemble le puzzle.

Sacha était psychologue de formation et s’était ensuite spécialisée dans la criminologie pour pouvoir rentrer dans la police judiciaire, quatre ans auparavant. Elle avait bien essayé d’entraîner avec elle son amie d’enfance, mais Elise lui répétait souvent qu’elle perdrait tout son plaisir et donc toute sa lucidité si elle transformait son passe-temps favori en profession. De plus, elle aiguisait son sens de la déduction en observant le tout Paris du café-bar où elle travaillait le soir, place de la Contrescarpe. Il n’ y avait, selon elle, pas meilleur terrain pour apprendre la psychologie humaine…
« Oui… cette histoire m’intéresse. On t’a mis sur l’affaire ? reprit Elise.

– Oui. Je suis en ce moment sur les lieux du crime avec l’équipe. Nous essayons de retrouver les indices. Je ne peux pas trop parler au téléphone, mais on fait une pause déjeuner dans deux heures, on peut se retrouver à ce moment là si tu veux ?

– C’est parfait. Je te retrouve au pied de la Tour Eiffel. »

Elise était toute excitée, cette fois l’intrigue se compliquait.

Quand elle arriva au pied de la Tour Eiffel, elle aperçue Sacha entourée de plusieurs policiers. Elle s’approcha et vit que son amie avait perdu toute sa bonne humeur. Elle fit signe à Elise de l’attendre un peu plus loin.

Par terre il y avait un dessin. Il représentait une carte, avec des croix sur certains emplacements. En y regardant de plus près, elle en vit le détail : c’était l’itinéraire de leur dernier voyage. Un périple qu’elles avaient, Sacha et elle, effectué en Afrique. Une des croix indiquait le dernier village qu’elles avaient visité. Quel lien entre ces deux frères trouvés morts dans des circonstances bizarres et ce dessin sur le sol ?

Sacha ne tarda pas à rejoindre Elise quelques minutes plus tard. Elle avait l’air soucieuse et quelque peu contrariée.

« Viens, ne restons pas là. » Elle prit Elise sous le bras et l’emmena d’un pas décidé vers une ruelle adjacente pour y trouver, espérait-elle, une terrasse de café.

Elles traversèrent les pelouses, pour couper au plus court, et elles furent enivrées toutes les deux par les effluves de cette herbe juste caressée par les premiers rayons de l’été.
« Qu’en penses-tu ? » demanda Elise.

« Et bien le moins que l’on puisse dire, à l’heure actuelle, c’est que c’est pas mal étrange… et surprenant. Je sais que tu trépignes d’impatience pour que je te donne quelques infos, mais pas plus que je ne pourrais le faire. Il y a une enquête qui commence, ne m’en veux pas. »
Elise le savait, et elle essaierait de suivre cette affaire avec les non-dits.

Sacha marqua un petit silence avant de reprendre : « Les inspecteurs du GAC sont sur place, ainsi que l’équipe de l’institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale, l’IRCGN. D’après les premiers éléments que je connaisse, ce gars a été découvert par le technicien de la machinerie des ascenseurs.

– C’est quoi le GAC ? »demanda Elise.

« Ah, le GAC, c’est le Groupe d’Analyse Comportementale. Ils sont là pour interroger de nouveau le personnel de la Tour Eiffel. Car pour l’instant on n’a rien pour commencer, excepté un foulard, qui je pense, a été placé dans le but de nous balader un peu, avec des traces d’ADN qui n’auront rien de commun avec ce crime. Et, il y a également une carte routière, celle que tu as vu tout à l’heure dessinée sur le sol.

– Oui, je l’ai vu, dit Elise, et j’ai été surprise de reconnaître la carte du Burkina Faso, ainsi que le trajet que nous avons fait ensemble il y a tout juste un an en traversant ce pays.’

– Oui, en effet le trajet au feutre gras retrace à quelques variantes près notre périple. »

« Qu’en penses-tu ? » demanda Sacha en levant son bras en direction d’une table en terrasse, et un peu à l’ombre d’un grand platane.

« C’est parfait. »

Les deux jeunes femmes prirent place l’une en face de l’autre autour d’un petite table de café, qui ne pouvait laisser de place à un troisième convive.

« Dis donc Sacha… » Elise marqua un petit arrêt avant de continuer pour être certaine de retenir l’attention de son amie. « …sais-tu que ce Dylan Mac Deen avait un parent du nom de Allan Mac Deen, et que ce dernier vient d’être retrouvé mort au Pérou dans les ruines du Machu Picchu, il y a tout juste une semaine ?

– Ah bon ?!! » fit Sacha en relevant brusquement sa tête, les yeux braqués sur ceux d’Elise. « Comment sais-tu ça toi ? »
Visiblement Elise venait de marquer des points sur cette affaire qui n’était pas la sienne, et elle se délecta à laisser un silence avant de répondre à la question de Sacha : « Et bien ma chérie, je lis pas mal les faits divers, et je t’ai même imprimé la page web qui en parle. »

Sacha était littéralement stupéfaite de cette info. Pouvait-il y avoir un lien entre ces deux personnes portant le même patronyme et retrouvé l’un et l’autre mort dans des conditions mystérieuses ?

« Ces demoiselles ont elles choisi ?

– Non pas encore » répliqua Elise au jeune homme qui venait de les sortir brutalement toutes les deux de leur intrigue.

« Les cocktails sont à moitié prix pour les collègues de la restauration et leurs amis… » reprit le serveur d’un ton complice.

« Hey… Rodrigo!! » s’enthousiasma Élise en relevant la tête pour découvrir les traits du jeune homme en question. « Depuis quand travailles-tu dans ce café ? Tu as quitté le Bombay Bar ?

– Oui, j’ai rompu avec Malika il y a trois mois et je me suis dit que ce n’était pas bon de rester travailler dans un bar tenu par son ex !

– En effet… Eh bien je te présente Sacha, une amie de longue date. Sacha, voici Rodrigo, un ancien collègue : on travaillait ensemble au restaurant des Deux Glaïeuls, il y a trois ans. Ça faisait un bout de temps que l’on ne s’était pas croisé.

« Enchantée… » répondit Sacha d’une voix charmeuse.

« Moi de même… »

« Apporte-nous donc deux de vos meilleurs cocktails, on te fait confiance sur le choix »

« Tout de suite » répondit Rodrigo en s’éloignant.
« Toi, à en croire ton sourire, tu m’a tout l’air d’avoir craquée sur Rodrigo. » reprit Elise d’un ton taquin.

« Disons que ça ne me déplairait pas de faire plus ample connaissance… » répondit Sacha l’oeil pétillant, en apercevant Rodrigo prendre les boissons au bar et revenir vers elles.

« Et voilà un Kiwizz pour toi, Élise, et un Kiss Gin pour ton amie. Vous m’en direz des nouvelles. Je ne m’attarde pas trop, il y a pas mal de monde en terrasse aujourd’hui. Mais je fais une crémaillère samedi prochain, vous êtes toutes les deux bienvenues. Voici ma nouvelle adresse, j’espère bien vous y voir. »
En regardant Rodrigo s’éloigner pour servir les autres clients, Élise se mit à sourire d’amusement : « Hey bien je suppose que tu es partante pour aller à cette crémaillère ? Je remarque aussi qu’il n’a pas choisi ton cocktail par hasard… Tu sais que l’autre petit nom du Kiss Gin, c’est l’Aphrodisiaque ? »

Sacha se mit à rougir de plaisir, et en cherchant à éviter le regard taquin de sa copine, ses yeux retombèrent sur la page web qu’Élise lui avait tendue quelques minutes plus tôt.

Quel était le rapport entre ces deux histoires ? Encore un peu troublée par sa rencontre avec le serveur, elle décida de rentrer à son bureau pour mieux se concentrer sur ces nouveaux indices. Au moment où elle allait en informer son amie, deux policiers de dirigèrent vers elle. L’un deux, qu’elle connaissait de vue semblait bien ennuyé, et la regardait avec un air soupçonneux.

« Sacha, veuillez nous suivre » dit-il d’un ton mal assuré.

« Que se passe-t-il ? » interrogea-t-elle ?

« Nous avons pour mission de vous ramener au central de police, nous ne pouvons rien vous dire de plus pour le moment. »

Elise regarda son amie partir entourée des deux hommes qui ne lui laissaient aucun espace pour pouvoir s’échapper. Rodrigo revenant à la table pour voir si les consommations choisies leur avait plu, compris qu’un drame avait eu lieu. Il entraîna Elise dans l’arrière-salle, à l’abri des regards indiscrets, et là, il la prit par les épaules, elle était effondrée.

« Mais que s’est-il passé pour ton amie ?» lui demanda t’il.
« Reprend-toi un peu, et raconte-moi… ce n’est pas grave au moins ? »
Élise arriva à se remettre, et regarda Rodrigo dans les yeux. Il avait un regard d’une telle intensité, plein de compassion et inquiétude, qu’elle en fût émut.
« Sacha risque d’être inquiétée personnellement sur une procédure policière qui commence à peine, et dont elle est responsable en qualité de spécialiste comportementale »
-« Je ne comprends pas ! »
-« Ne me pose pas de question, je ne peux rien te dire. Excuse moi, je suis désolée »
-« D’accord…, OK… mais si tu as besoin de moi, voilà mon contact. »
-« Merci…, je ne vois pas en quoi tu pourrais m’aider…, mais merci tout de même de ta proposition »
Elise voulu payer les consommations, mais Rodrigo, d’un geste un peu paternaliste, posa la main sur son bras et lui offrit un large sourire, accompagné d’un regard plein de tendresse.
-« Laisse »
Elle le remercia, l’embrassa, et disparue rapidement au milieu des chalands, badauds et employés de bureaux à la course au temps, un sandwich à la main.
Arrivée chez elle, Elise essaya d’appeler Sacha sur son portable. Les sonneries étaient interminables, et elle finit par tomber sur sa messagerie.
« C’est moi, rappelle moi «
Elise était réellement inquiète. Elle se laissa tomber sur son sofa, et partit dans une intense réflexion.
Y avait-il un lien, entre ce qu’elle savait, et dont elle ne voulait pas reparler avec Sacha, et le fait que ces hommes en civil de la PJ étaient venus la récupérer sur la terrasse de ce café, sans délais, illico presto, et surtout sans ménagement apparent?
D’un bond, elle s’éjecta de sa léthargie et de son sofa, et se dirigea vers sa penderie. Là avec un escabeau de 3 marches, elle attrapa sur la dernière étagère une petite boite en carton, un peu moins grosse qu’une boite à chaussure, et redescendit en la fixant du regard, avec une certaine appréhension. Elle connaissait ce qu’elle devait trouver. Elle pensait bien ne jamais y retourner. Elle avait hésité longtemps entre la garder ou la jeter, mais c’était une partie de sa vie, et enfin de compte, elle avait choisi de la mettre dans un coin à l’écart, tout comme dans sa tête, dans un petit coin bien enfoui.

Nerveusement, elle souleva le couvercle : il était toujours là.  Ce fidèle appareil-photo qui avait été son compagnon de tous les jours pendant si longtemps et qu’elle ne pouvait maintenant plus prendre sans trembler.

Depuis le premier appareil qu’on lui avait offert pour ces 10 ans jusqu’à ce fameux voyage,  elle n’avait cessé de photographier tout ce qui se passait autour d’elle, jouant au reporter avec la légereté d’un enfant, tout en cherchant à immortaliser ces moments impromptus où les gens se laissent aller, oubliant ce boitier noir qui les observe, neutre et silencieux.

La carte mémoire était toujours à l’intérieure… Oui, il était maintenant temps de regarder à nouveau ces photos qu’elle avait voulu oublier ! Elle savait que c’est là qu’elle allait pouvoir trouver les pistes pour éclaircir cet histoire et venir en aide à son amie.

Le Burkina Faso… Pays éblouissant en diversité et en richesse culturelle. Un peuple humble et chaleureux dans les mains d’un tyran et d’une police corrompue. Le « pays des gens intègres » n’aurait pas pu plus mal choisir ses dirigeants…

Il allait falloir qu’elle se replonge dans les souvenirs de cette nuit où Sacha et elle s’étaient un peu trop attardées près d’un commissariat de Ouagadougou.

Tout avait commencé par ce voyage organisé par la ville de Loudun, jumelée avec Ouagadougou, où était née Elise. C’était à l’occasion de la reconnaissance par les officiels du site de « Loropéni » classé désormais sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

Il faut savoir que Loropéni est un bourg du sud du Burkina Faso , situé dans le département du même nom à l’ouest de Gaoua. Des ruines en pierre pré-européennes s’y trouvent. Il s’agit de murailles de blocs de pierre rouge non taillés et de moellons de latérite s’élevant jusqu’à six mètres de hauteur.

Sacha et elle avaient prévu de s’y rendre conformément au désir de la municipalité de Loudun qui souhaitait un reportage photos sur cet évènement. Mais tout ne s’était pas passé comme elles l’avaient imaginé.

A Ouagadougou, elles avaient pris un hôtel près de la station des cars. Le soir, elles en avaient profité pour visiter un peu la ville et faire connaissance avec les autochtones en faisant la tournée des bars. Intriguées par le comportement de trois adolescents dans une ruelle, elles les avaient suivis. Ils se dirigeaient vers le commissariat. Et là tout avait basculé.

Sur les photos qu’Elise regardait à nouveau il y avait le récit du cauchemar de cette nuit là.

Après un effort quasi insurmontable, Élise repassa le scénario de cette nuit de terreur :

Les 3 adolescents étaient rentrés dans le commissariat aussi naturellement que s’ ils étaient rentrés chez eux. Sacha et Elise avaient alors échangé un regard de surprise, et il n’avait pas fallu une minute avant que trois policiers les interpellent du bas de la porte de leur office : « Please, come in ».

Sacha et Élise, après avoir échangé un nouveau regard, incrédule à cette injonction, avancèrent doucement vers eux, puis à deux mètres à peine ils s’écartèrent : « Come in », insista l’un d’eux.
Elles ne comprenaient pas le ton utilisé, un ton sec, un ton de flic malsain, qui prend tous les autres pour des coupables ou des criminels.

« Why you follow them ? » demanda l’un deux à Sacha.
Sacha en était interloquée. Où était le mal que de suivre 3 adolescents dans la rue à 17 h 00 le soir ?
Elle n’avait pas de réponse, tellement la question en était surprenante.

Elle fini par dire : « What’s wrong with that? Is it prohibed ? »

– « Give your passports ».

– « Give your passports », insista le petit nerveux mal rasé, dans un anglais mal assuré.

– « Nous les avons laissé à l’hôtel », se souvenait avoir répondu Élise en français. L’anglais n’avait jamais été son fort, et surtout elle ne comprenait pas cette insistance à leur parler anglais dans un pays dont la langue officielle est le français et où les rares occidentaux qui s’aventurent dans cette ex-colonie française, encore peu touristique, sont bien souvent français eux-même.

– « Ah, vous êtes françaises? », avait repris le grand fin et le plus jeune des trois, avec un visage qui avait semblé s’adoucir. Sacha et elle avaient été surprises de constater ce changement d’attitude. Les avaient-ils confondu avec d’autres personnes dont la langue maternelle aurait été l’anglais ? Pourquoi se seraient-il montré aussi méfiants envers ces personnes ?

– « Il ne faut pas vous attarder ici, mesdemoiselles, ce n’est pas un quartier sûre. Et les photos sont interdites dans ce quartier sécurisé. Nous devons confisquer votre appareil », avait enchaîné sèchement celui qui jusqu’ici n’avait pas encore parlé : un chauve à la voix calme et l’œil perçant.

Élise avait pâlit à ce moment là : se séparer de son appareil, des superbes photos qu’elle avait prises des ruines de Loropéni !! Elle avait scruté la scène, observant les trois adolescents, impassibles, qui s’étaient assis calmement au fond du commissariat et les trois policiers qui semblait déterminé à ne pas les laisser repartir avec leur appareil photo. Puis après avoir échanger un nouveau regard avec sa complice de toujours, elle s’était résignée à leur tendre son appareil.

– « Il faut rentrer à votre hôtel maintenant, ne revenez pas dans ce quartier, ce n’est pas pour les touristes », avait repris le petit nerveux en prenant l’appareil.

Un peu interloqué, elles étaient sorties du commissariat, sentant qu’il ne valait mieux pas s’attarder.

Mais après quelques pas dehors, elles avaient entendu le chauve à la voix posée dire : « Non, ce ne sont pas les mêmes. Ce ne sont pas les militantes anglaises d’Amnesty International, je pense qu’il n’y a rien a craindre. Il n’y a qu’a vérifier les photos qu’elles ont prises ».

Ces quelques phrases avaient glacé leur sang… Qu’avaient-ils donc à cacher?

Sacha avait senti le désir d’Élise de retourner illico au commissariat, mais elle l’avait retenue : « Non, je pense que c’est dangereux… il faut être plus discrètes que ça : éloignons-nous d’abord et on essaiera ensuite de se glisser sous l’une des fenêtres, pour écouter leurs conversations et savoir ce qui ce passe… ».

Encore tremblantes, à la fois de colère et de peur, elles firent celles qui s’en retournaient sur leur pas en direction de l’hôtel. Mais arrivées au premier croisement, elles s’arrêtèrent.

« Tu as vu la grille bleue un peu en hauteur ? » demanda Sacha, à Elise qui avait sorti une cigarette pour se calmer. « Oui, si je monte sur tes épaules je pense que je peux avoir un aperçu de la salle où nous étions », répondit Elise.

N’écoutant que leur courage, elles s’approchèrent. Juchée sur son amie, Elise regarda à l’intérieur. Il n’y avait plus que les trois policiers. Le chauve à la voix posée examinait lentement les photos sans dire un mot. Le grand fin s’approcha de lui et avec un sourire inquiétant proposa : « Et si on se servait de cet appareil pour placer les autres clichés à la place ».

« C’est une idée intéressante » murmura le petit nerveux dans un rire guttural. Emportant l’appareil avec eux, ils sortirent de la pièce.

Elise et Sacha étaient de plus en plus intriguées. Elles décidèrent de rentrer s’enfermer dans leur chambre pour réfléchir en attendant le lever du jour.

Au matin un colis les attendait à l’accueil : c’était l’appareil. Étonnées de savoir comment les policiers avaient pu les retrouver, elles s’isolèrent pour regarder ce qu’il y avait sur la puce.

Il ne restait que quelques photos de celles qu’avait prises Elise. Mais en revanche il y avait d’autres clichés inconnus. Sur le premier on voyait l’ombre d’un homme qui jouait de la flûte face à une cité ancienne. Il semblait la dominer comme sur un promontoire rocheux.

Sacha et Elise regardèrent toutes ces photos mystérieuses qu’on leur avait introduites dans la carte mémoire de leur Nikon. Rien d’extraordinaire, un mec qui joue de la flûte, assis en tailleur sur un rocher, et en plus, pas spécialement des photos artistiques, à contre jour, et floues pour certaines. Le visage du mec n’était pas spécialement identifiable.

Ceux qui avaient réalisé cette manipulation devaient bien se douter que cette opération ne pouvait passer inaperçu. Il y avait 27 photos en plus. Et sur les 650 photos environ de leur périple, il n’en restait que 258 exactement. Sacha les avait comptées. Toutes les photos qui avaient disparu étaient entre autre celles de leurs deux dernières semaines.

Elise se souvint être allée se rafraîchir sous la douche au moment où Sacha comprit ce qui se passait. Elle se rappelle avoir entendu Sacha répéter : « Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible……. »

« Qu’est ce qui t’arrive » demanda Elise ?

« C’est incroyable » lui répondit Sacha.

« Sors de ta douche, et viens avec moi, nous allons dehors ».

« Tu peux m’expliquer en quelques secondes, pour penser que je ne suis pas un petit chien que son maître va sortir »

« Bon, viens voir. »

Enroulée sous une large serviette éponge, Elise encore toute ruisselante s’approcha de Sacha les yeux et surtout les oreilles grandes ouvertes.

« Et bien voilà, la carte mémoire que nous avons, fait 4 gigas, chacune de nos photos et je viens de vérifier, fait environ 1.5 méga octets parce que nous les prenons en haute définition. Il nous reste 258 photos à nous, que nous multiplions par 1.5 Mo ce qui nous donne plus ou moins 400 Mo. Hors, il ne reste quasiment plus de place sur la carte. Chacune des 27 photos que l’on nous a ajoutées fait plus ou moins 130 Mo. ».

« Oui en effet » dit Elise, un peu interloquée de cette démonstration.

« Alors, j’ai essayé d’en destroyer une, et c’est impossible. Pour une des nôtres, pas de problème. ».

« Et la raison pour laquelle nous sortons c’est ? ».

« Et bien c’est que nous allons trouver un cyber, et regarder ces photos de 130 Mo en les agrandissant au maximum sur un écran. ».

Sacha avait été au début très contrariée, mais elle devenait de plus en plus excitée de ce qui leur arrivait. C’est certainement cette passion à vouloir résoudre les énigmes qui avait poussé Sacha quelques années plus tard à rentrer dans la PJ comme enquêtrice.

Cinq minutes plus tard, Sacha et Elise arpentaient les rues du quartier plus ou moins touristique de la capitale.

« En voilà un, s’écria Elise, là, de l’autre coté »

Ce petit cyber, coincé entre une laverie automatique et un réparateur d’électronique, ne paraissait pas débordé par son activité. Quelques enfants, jeunes ados, s’étaient installés devant une console de jeux, et manifestaient leur enthousiasme par des cris et des hurlements, qui repoussèrent un peu Sacha.

D’un rapide coup d’œil, elles cherchèrent l’écran le plus isolé, et avec l’environnement le moins sale, dans l’angle de la pièce, à part le cendrier qui n’avait pas été lavé depuis au moins 10 ans.  Elles s’installèrent toutes les deux.

« Puis je vous aidez charmantes demoiselles ». Un jeune homme d’une vingtaine d’années, très sûr de lui, s’approcha d’elles un chrono à la main.

« Vous avez une prise USB sur votre PC ? » demanda Elise.

« A non,……….. Ils sont trop vieux, ……. c’est uniquement pour internet mes demoiselles ».

« On aurait besoin de vérifier la qualité de nos photos, comment peut-on faire ici ? Y a-t-il un autre cyber dans le coin ?».

Voyant que ces deux jeunes femmes ne cherchaient pas une connexion internet, et ne voulant pas perdre quelques francs CFA, il reprit vite la situation en mains.

« Ben…….. J’ai mon laptop perso. Lui, il lit les cartes mémoire ».

« Et vous pourriez nous le confier quelques minutes », demanda Sacha.

« Mais c’est plus cher ……….10 francs la minute…… »

« Comment ça, dit Elise, c’est 4 fois plus cher »

« Je sais mademoiselle, mais y’en a pas beaucoup ici, et c’est le mien. Je fais ça pour vous êtres agréable ».

« Mon cul » marmonna Sacha.

« OK, …………où peut-on s’installer alors ? ».

«Ben là», dit il en levant le bras, et en montrant son bureau, « Il est déjà branché, vous pouvez y aller. »

Elles attendirent d’être seules, et glissèrent leur carte dans la petite fente du HP, un modèle relativement récent, à en croire son design. Il mit tout de même un certain temps à ouvrir une photo de 130 Mo. Là, sur l’écran ce joueur de pipo, seul au milieu de nulle part apparu. Sacha pris le curseur et le poussa à l’extrême droite.

« C’est ça » expliqua t’elle à Elise. « Tu vois, chaque pixel est une autre photo. Dans cette photo, il y a des milliers d’autres photos. »

« On se croirait durant la période de la guerre froide » dit Elise.

« Regarde, là on peut distinguer quelque chose, mais il nous faudrait un appareil beaucoup plus performant que celui-ci, genre labo informatique en quelque sorte. ».

« Ce ne sont pas des photos, mais des pages de documents ». En glissant doucement la souris, Sacha découvrit quelques mots. Ces mots l’effrayèrent, il s’agissait de l’attentat de Thomas Sankara le 15 Octobre 1987.

Elles arrêtèrent tout de suite leurs investigations, payèrent et partir avec un sourire fabriqué. Elles se regardèrent, et comprirent qu’elles transportaient une bombe……….

Elise venait de revivre en quelques minutes ce dont Sacha et elle avait essayé d’oublier, en cachant cet appareil avec sa carte dans une boite en carton, surtout après s’être aperçu en fouillant les infos sur internet que sur l’attentat de Thomas Sankara, des hommes politiques français et pas des moindres, François Mitterrand, Jacques Chirac y étaient peut-être mêlés, ainsi que le colonel Kadhafi.

Elise se souvint également de leur retour en France, et elle se surprit à s’apercevoir qu’elle transpirait, en se remémorant ces moments là.

Persuadés qu’elles avaient été choisies pour transporter et rapporter ces documents types « microfilms » dans leurs bagages, et que le ou les réceptionnistes allaient chercher à récupérer cet appareil photo coûte que coûte, leur vie pouvait être en danger. Les commanditaires de ce genre de chose ne sont pas des enfants de cœur, et ne cherchent pas à laisser des traces.

Ce débarrasser de l’appareil, elles y avaient pensé, mais ça ne changeait en rien leur sécurité. Elles étaient prises au piège. Dans l’avion qui les ramenait en France, toutes les personnes leur paraissaient suspicieuses.

Arrivés à Orly, elles avaient un temps pensé aller à la police de l’aéroport, et leur raconter leur histoire. Mais ceci aurait-il changé quelque chose pour leur sécurité future ? Alors, elles avaient monté un scénario pour échapper aux ravisseurs de leur Nikon, et assurer leurs arrières…

Une réflexion sur « Le Mystère de la Tour Eiffel »

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